Voyage 3/3 : « Partir c’est mourir un peu » ?

Guadeloupe, 11 mars

Voilà la dernière phrase que Didier m’a dite au moment de se dire au revoir. Ils sont partis hier et c’est mon tour aujourd’hui. Samedi soir on a fêté nos départs à moins que ce soient nos rencontres. Didier avait racheté du rhum et ce fut une soirée assez exceptionnelle : la révolte des cheminots, la mort du rock, le avant, les punchlines de Didier gribouillés dans mon carnet, les casques connectés, la société de surveillance, nos voyages bien sûr et les vraies raisons de la mort de Cloclo.

Les quelques gens présents étaient on fire, après quelques verres, Maxime et sa belle-mère Marie-Pierre (une soixantenaire ayant elle aussi vécu les mêmes combats que Didier) en l’absence de Pauline partie se coucher, vivaient un vrai moment de belle-mère/gendre. Nathalie et moi on observait entre deux anecdotes de Didier, conscientes que se jouait l’avertissement initial de toute relation qui se joue à une échelle géographique grande.

Nathalie elle voit tout derrière son apparente discrétion, elle est un volcan en effusion. Elle fait partie de ces personnes qui ne brillent pas frontalement façon Didier. Nath elle a cette lumière des gens plus réservés, de ceux qui parlent moins mais qui observent deux fois plus, de ceux qu’il faut s’approcher en douceur pour qu’ils nous inondent de leur lumière. J’aime bien ces âmes mystérieuses, elles sont subtilement sensibles. D’ailleurs je n’ai pas manqué de lui dire à Nath et de leur dire quel duo de choc ils formaient tous les deux. Tellement de love dans cette soirée composée de baroudeurs et baroudeuses qui peut-être ne se reverront jamais.

Enfin, après quelques débats passionnés, j’ai réussi à faire danser les filles sur la piste en bois de notre terrasse, Marie-Pierre un pétard à la main me dit « Mais qu’est ce que je fais à mon âge ? c’est pas sérieux… », ce à quoi je répondis sur les rythmes de Tainted love, « tu vis meuf ! »…( « Meuf »… LOL ).

On a fini par chanter “ceux qui vivent là ont perdu la clé…” tous ensembles et c’était beau. Parfait cliché des métros (politains) rechargés à bloc par la chaleur et le bonheur de la vie insulaire.

Donc “partir c’est mourir un peu” ?

Je suis allée chercher la référence de Didier qui lui vient d’un poète du XIXème, Edmond Haraucourt, reprise dans une chanson de André Baugé.

Cette phrase me rend perplexe.

Je repense à des conversations passionnantes à Beauvais ou en Bretagne sur la disparition de l’humanité, entendre que « à l’échelle du cosmos » notre mort ce n’est rien si ce n’est qu’un possible terreau d’une autre forme de vie et ainsi de suite…le cycle et l’histoire de la vie…Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait mort. Hakuna matata.

Donc pour qu’il y ait « vie » il faut bien que des « un peu » disparaissent pour faire de la place aux “un peu” nouveaux.

Tu fais mourir ton agenda, tu fais vivre les routes sinueuses, tu fais mourir le froid, tu fais vivre la chaleur qui te colle à la peau…Un savant équilibre des « un peu » pour se sentir vivant.

Pour mon dernier jour je roule beaucoup, je regarde partout, j’appelle le soleil pour qu’il me brûle la peau une dernière fois, j’absorbe ce que je peux du monde. Je croise de nombreuses familles réunies sur des bancs, ou des terrasses. C’est dimanche, le temps est suspendu, les gens profitent.

Je me demande si pour moi partir ailleurs c’est ici, quand le « ailleurs » semble être un paradis alors où partons nous « un peu » ?

Est-ce que l’ailleurs est forcément un quelque part ?

Et si l’ailleurs était plutôt un concept, un voyage, une passion, une chanson… une forme où chacun s’évade “un peu” à sa façon?

Pour moi l’ailleurs c’est plus un appel du grand large, vital et inspirant, y répondre c’est « Partir un peu pour ne pas mourir».

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