Post-César, samedi 29 février 2020, 2h30.
Les médias parlent de corona dans l’Oise, il a fait un temps mitigé, journée de reprise au boulot mais je m’en fou, moi ce soir : j’ai César.
Oui, je m’en faisais une fête de cette cérémonie…C’est mon amie Bubu qui m’y avait initié : plateau-repas, pronostics, attente, suspense, accord, désaccord.
Cette année un très beau cru avec mon chouchou « Papicha », le bouleversant « J’ai perdu mon corps », le très beau film de Céline Sciamma « Portrait d’une jeune fille en feu », les films nécessaires comme « Les misérables », « Hors normes»… j’avais loupé « Roubaix, une lumière » et d’autres bien salués mais j’étais contente de retrouver « Parasite » et « La cordillère des andes » à laquelle j’avais assisté à Cannes avec Patricio Guzman.
Ce soir c’était donc César !!
En simultanée sur whatsap avec des potes à Lyon, Paris, Bordeaux et dans le sud : c’était presque l’évènement de l’année. Florence Foresti s’en est très bien sortie dès le départ : elle a pris les problèmes à bras le corps, la polémique Polanski en frontal, dignement, et elle nous a fait rire.
Bien sûr il y a eu des loupés, des trucs longs, malaisants… mais il s’en ait dit des choses sur les injustices du cinéma et les injustices humaines.
La soirée était plutôt excitante après que mon chouchou ait eu le césar du meilleur premier film et du meilleur espoir féminin j’étais plutôt rassurée, malgré l’absence de Adèle Haenel pour le césar de meilleure actrice je m’attendais encore à un final joyeux et puis là : moment tragique.
Violence du tournant des évènements, plus profond qu’une déception, un sentiment échec.
Alors je ne parle jamais de politique, mais en fait vu que je bosse dans un cinéma mono-écran, qui plus est, dans un quartier populaire pas loin d’un multiplex, dans une association avec une salle de concert de musiques actuelles et des actions transversales, au final je fais des choix politiques.
Il y a quelques mois, j’ai décidé de ne pas passer le dernier film de Polanski lorsque nous avons dû annuler la venue d’un groupe de rap sur demande d’un partenaire financier.
Je ne doutais pas des qualités du film, j’avais aimé « La vénus à la fourrure », « Tess » évidemment ; je ne doutais pas que Jean Dujardin y était très bien, le sujet important, mais je n’avais pas particulièrement envie de le voir et je ne l’ai toujours pas vu.
Avec la quantité de bons films qu’on loupe, qu’on ne peut même pas programmer pour faute de place, ce n’était pas ma priorité.
Est-ce que j’avais vraiment envie de le mettre en avant? Est-ce que c’était politiquement correct « d’accepter » la censure d’un groupe de musique et de promouvoir l’œuvre de quelqu’un qui venait une nouvelle fois d’être accuser de viol dans ce climat #metoo ?
Non.
Je suis pour la liberté de création mais vraiment… face à une parole qui s’exprime enfin, face au courage de toutes ces femmes qui font face à ce qu’elles ont vécu et qui osent demander tout haut que ce système change, non, je n’avais pas envie de défendre même un très bon réalisateur. Des réalisateurs et des réalisatrices douées il y en a plein d’autres, il suffirait de s’y intéresser davantage.
J’étais par contre en colère qu’on s’en prenne aux salles qui décidaient de le programmer. J’avais fait ce choix mais je respectais totalement ceux qui l’avaient programmé.
Je trouvais dommage que la colère s’acharne sur le maillon final à savoir les salles et le spectateur…
Comme si c’était nous qui allons avoir le réel pouvoir d’empêcher ce type de faire des films !!
Je ne suis pas étonnée ou surprise que des connards fassent du cinéma, toute forme d’art a son lot de violeurs, de tueurs, pédophiles, beaucoup sont morts et on ne le sera jamais, beaucoup seront épargnés, mais malheureusement c’est représentatif de notre société c’est tout. Les déviants, les malades, les mauvais existent dans tous groupes sociaux, professionnels, générationnels… alors pourquoi les artistes seraient épargnés ?
Doit-on voir leur œuvre ? doit-on les « admettre » ? « L’homme… l’artiste »…
Et puis si on considère les méchants/ les gentils, où se trouve le curseur ? Dans les mains de la justice ? Mais est-ce qu’on croit encore à la justice ? Est-ce qu’une peine égale un pardon ?
Dans le cinéma, il semblerait qu’il y ait des codes : il y a des méchants vraiment méchants et des moins méchants, ça, ça passe, ça non… Woody Allen ça passe, Polanski non.
Donc Polanski pas le bienvenu aux César.
Plongée dans cette confusion qui règne et qui divise sur le acceptable ou pas, je n’étais pas vraiment choquée de sa nomination. Il a son fan club, son aura, son harem d’intellectuels.
Mais je dois vivre dans un monde rempli de bisounours parce que par contre je ne m’attendais pas à ce que Polanski gagne un des meilleurs césars de la cérémonie. Je n’étais pas prête à ça. C’était trop gros, trop lourd, pour que ce soit possible.
La meilleure réalisation ? Le saint Graal !! Visiblement le film doit être si bon que deux césars ne suffisaient pas et que même d’autres césars sur la technique, les acteurs, le montage n’auraient pas suffi, le meilleur c’était lui un point c’est tout !
Naïvement, j’imaginais que l’Académie aurait saisi tout ce qui se jouait derrière la symbolique de Adèle Haenel versus R.Polanski.
Ni Céline, ni Adèle n’ont eu la possibilité de monter sur scène alors que le film méritait plus de reconnaissance.
Avaient ils peur qu’elles ouvrent trop leur gueule peut-être?
Surement.
Mais de là à « sacrer le diable » quand même !!
Etait-ce vraiment nécessaire de lancer de telles hostilités ? c’est de la provoc’ ou quoi ?
Car après tout, ce qu’il représentait ce soir c’était aussi le non jugement de toutes ces agressions. La personne non punie de ces crimes. Il n’était plus uniquement réalisateur, ce soir il était aussi une personne qui passait devant l’opinion publique.
Mauvais timing pour Roman tant pis pour lui, mais franchement s’il y avait une prise de position pacifiste et égalitaire à prendre par les institutions qui font ce Cinéma c’était bien ce soir !
Mais qui dirige notre Cinéma ? Que ce soientt des hommes ou des femmes derrière ces enveloppes, n’ont-ils pas entendu la rage des femmes ? la volonté d’un changement ?
NON.
Ils continuent de se servir de nous : la femme (merci Florence) amuse bien la galerie pendant 3 heures, mais le message final va être rapide :
Meilleure réalisation : Polanski,
des gens quittent la scène, le son de la salle est coupé,
Florence Foresti ne réapparaitra pas.
Personne sur scène.
Il faut enchaîner Sandrine …vas y…
Meilleur film : « Les misérables ».
Et bien que j’étais contente pour ce film, en direct de Paris mon amie Faustine me faisait remarquer « il n’y a que des hommes sur scène ».
Et là je regardai mon mur où était projeté en grand plus d’une dizaine d’hommes sur scène.
Ils étaient là après ce moment terrible où je pense que de nombreuses femmes ont ressenties comme moi un profond sentiment de défaite.
D’un seul coup, une tristesse profonde m’envahit comme si le Cinéma m’avait trahi. Tout ce qu’il avait réussi à me faire croire, à me faire vivre, s’effondrait là en quelques images. Il n’était plus magique, il était comme tout le reste, décevant.
Alors je ne veux pas croire que le Cinéma soit masculin, je ne veux pas entrer en guerre contre l’homme. Je ne veux pas voir que ce monde est pourri.
Je veux juste que le Cinéma me mette encore un peu de paillettes et m’offre un happy end à cette cérémonie, que les femmes talentueuses soient récompensées et qu’elles disent ce qu’elles ont à dire haut et fort.
Mais ce soir le Cinéma qui me faisait vibrer disparut, englouti sous le poids d’une seule image symbolique : une scène rempli d’hommes, sans femme à laquelle on semblait répondre après 3h20 d’hypocrisie « s’il te plaît, ferme ta gueule ».